Sylvie Delusseau,
le mouvement d’abord
Des corps, des
corps en mouvement Sylvie Delusseau joue avec des lignes serpentines. Ses traits rapides, larges et surs entraînent les corps dans un accomplissement
prépondérant.
Justes, discontinus
les traits dirigent. Ils organisent les mouvements, « J’aime à imaginer que mes personnages sont toujours prêts à sortir du cadre. » La vitesse de l’exécution suggère le poids, traduit la
torsion, ravive l’énergie, anime les figures, décide de leurs centres de gravité.
Ses traits
contiennent l’espace traduisant le caractère du corps et ce par quoi celui-ci déborde la chair.
Animés par des
intentions intimes, les corps en mouvement endossent des voiles abstraits. Dès lors, ses corps dénudés ne sont pas vraiment nus, ils portent en eux le trouble agissant de l’âme.
Ils sont des
suggestions, ils sont des images.
Maître Eckart dans
son langage sibyllin écrit : «l’image est une émanation simple et formelle, qui transmet l’essence nue dans sa totalité... Elle est une vie que tu peux concevoir comme une chose qui commence à
gonfler et à trembler en elle-même et par elle même, sans jamais cependant penser ensemble son expansion à l’extérieur. »
Le dessin est la
pensée de la peinture. Et la peinture ici rehausse le trait d’esprit. Son rôle est de réaliser le phantasme de l’entité vivante du corps, les secousses de sa
temporalité.
La carnation de ses
personnages est incantation de lumière. La couleur touche et trouble légèrement l’intention de l’idée en l’incarnant à peine et la nudité se fait grâce.
« Dans la grâce, le
corps apparaît comme un psychique en situation. Il relève avant tout sa transcendance- transcendée ; il est en acte et se comprend à partir de la situation et de la fin poursuivie. Chaque
mouvement est donc saisi dans un processus perceptif qui se porte du futur au présent... C’est cette image mouvante de la nécessité et de la liberté...qui constitue à proprement la grâce.
Dans la grâce, le corps est l’instrument qui manifeste la liberté. L’acte gracieux, en tant qu’il relève le corps comme outil de précision, lui fournit à chaque instant sa justification
d’exister.» (Sartre)
Cette liberté du
corps en action, du corps croquée, révélé, à peine teinté rappelle certains dessins de Toulouse Lautrec.
Sylvie Delusseau
est consciente de la vérité anatomique du corps mais autrement soucieuse de « l’être là » du corps. La gravité avec laquelle le peintre montmartrois envisage ses danseuses est contenue et cernée
de près. Le corps de ses modèles les fait souffrir, ils sont de nature existentialiste.
Du corps, Sylvie
Delusseau s’en délecte. Elle l’étire, l’entourloupe, jusqu’au maniérisme. Elle le rend élastique aérien, jubilatoire et puissant, même dans les moments les plus dramatiques de son
état.
Il nous semble que
pour elle le modèle vivant reste un témoignage lui permettant d’improviser des variations langagières qu’elle décline dans chaque corps qu’elle dessine. « Je libère les détails pour qu’il ne
reste plus que le mouvement. » Dit-elle. Ses corps sont surpris dans leur élan.
Ileana Cornea Critique d'Art pour le magazine Artension